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L'exploitation du canal commença aussitôt. Mais la Compagnie eut à lutter contre de nombreux ennemis.
Elle eut contre elle l'hostilité des voituriers, qui enlevaient le charbon de vive force à la sortie des carrières pour empêcher qu'on ne le conduisît au canal. Elle négocia alors directement avec les concessionnaires, II fut même question --d'une fusion entre la concession du canal et celle des mines (Compagnie du Mouillon). On projeta la formation d'une société de commerce, à laquelle les concessionnaires de mines remettraient la houille extraite et ceux du canal le produit des droits de navigation. La conduite de la mine au canal, l'embarquement, le débarquement, la conduite sur le Rhône, les frais de vente auraient été à la charge de la société ,et le produit des ventes partagé par moitié entre les deux concessionnaires. Le traité cependant n'aboutit pas. Mais la Compagnie du canal fit la remise d'un sol par mesure de houille lorsque pendant un an les marchands auraient exporté par le canal de 80 à 100.000 mesures.
La Compagnie devait créer des entrepôts pour recevoir les marchandises. Un des, propriétaires, qui avait, acheté depuis peu de temps des terrains, refusa de les céder. C'était Fleurdelix, greffier de la sénéchaussée de Lyon. Il fallut un arrêt du Conseil du Roi pour l'y obliger, mais la haine de Fleurdelix contre la Compagnie s'en accrut, bien que la Compagnie lui payât 3.000 livres ce qu'il avait payé 400.
La Compagnie créa son entrepôt de houille à Givors. mais les extracteurs refusèrent de l'approvisionner. Les crocheteurs ou portefaix du canal voulurent monopoliser leur métier et ne travailler qu'aux prix qu'ils exigeaient. Il fallut, pour les contraindre, un règlement et un tarif établis par l'Intendant de Lyon, qui intervinrent le 18 février 1782. Ce tarif fut remplacé vingt ans après par un autre, arrêté par le Préfet de la Loire pour le port de Rive-de-Gier.
Les mulets inemployés étaient difficiles à vendre, à cause de leur nombre. Les voituriers préférèrent les user et les surmenèrent.
La Compagnie du canal eut un conflit en 1785 avec la Compagnie des coches du Rhône. A l'embouchure du canal on transbordait les marchandises sur ces coches. Mais la Compagnie du canal fit quelquefois le service jusqu'à Vienne sur des coches lui appartenant et semblables à ceux de la Compagnie des coches, c'est-à-dire ayant 52 pieds de longueur (17 mètres), 9 de largeur (3 mètres), trois fenêtres de chaque côté, et peints en vert. Réclamation des fermiers de la Compagnie des coches du Rhône pour atteinte à leur monopole.
La Compagnie du canal demanda à l'Intendant d'être autorisée à suppléer la Compagnie des coches dans le cas où celle-ci laisserait des marchandises en souffrance, et cela le mercredi seulement.
Aux termes des lettres-patentes de 1780, art. 5, Zacharie devait payer aux seigneurs les indemnités concernant l'extinction de leurs droits. Or quelques auteurs feudistes déclaraient qu'il n'était point dû des lods (droits de mutation) aux seigneurs sur les acquisitions faites pour l'utilité publique. La Compagnie du canal refusa donc de payer les lods. Les seigneurs prétendirent que le canal n'était pas une entreprise consacrée à l'utilité publique, mais une « spéculation mercantile ». En outre, « suivant le droit commun de la France » les rivières non navigables appartenaient aux seigneurs hauts-justiciers. En diminuant le volume des eaux du Gier, les concessionnaires devaient une indemnité pour la privation de ces eaux aux seigneurs riverains. On voit à quelles difficultés se heurta la Compagnie. Mais si je connais quelques mémoires rédigés à ce sujet, je ne connais point la suite intervenue.
L'hostilité que j'ai signalée dans la population de Rive-de-Gier se manifesta avec autant d'intensité dans la population de Givors. Les Compagnies concessionnaires d'un monopole ou d'un privilège sont impopulaires. Nous l'avons vu pour les mines et les chemins de fer comme pour les canaux. A Givors, plus de muletiers qui faisaient vivre tant de petits commerçants! M. Abeille dit qu'ils se transformèrent en mariniers, haleurs, crocheteurs du canal. Mais on sait que ces transformations, quand elles s'opèrent, ne sont pas générales. On ne renonce pas si vite à un métier qu'on a exercé des années et où l'on jouissait d'une certaine indépendance. Autre changement pour Givors: le port sur le Rhône fut presque abandonné au profit du bassin du canal creusé plus au nord. Un nouveau Givors surgissait. On devait l'appeler bien plus tard: Givors-canal.
Pour anéantir le trafic par mulets, la Compagnie renonça au doublement du tarif autorisé en 1770. Ce doublement, qui avait décidé de l'apport de nouveaux capitaux, n'était donc point nécessaire pour assurer l'exploitation. la Compagnie revint donc en 1782 au tarif de 1760 : un sou par tonne et par lieue, ou 0 fr. 218 par tonne kilométrique si l'on tient compte que la valeur de la livre tournois était de 0 fr. 95 en 1782, au lieu de 0 fr. 90 en 1760.
Un état détaillé du trafic, des recettes et des dépenses de 1780 à 1789 figure dans un mémoire imprimé en 1843 à Lyon, intitulé Notes, études et pensées sur le canal de Givors, par-A.-F. Collet, ci-devant employé à la direction de ce canal et gérant des mines de houille de Reveux. En même temps que la Compagnie du canal distribuait pendant ces dix ans 1.388.000 livres, elle remboursait un emprunt de 100.000 livres, soldait 78.860 livres de constructions nouvelles et mettait en réserve 60.752 livres. En outre, la Société avait racheté dix-sept actions des soixante-douze qu'elle avait créées antérieurement à 1780. |
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