LES PROJETS DE CANAL DE LA LOIRE AU RHÔNE DE 1830 A 1852
Non seulement la Compagnie du canal faisait étudier et exécuter le prolongement jusqu'à Grand'Croix, mais elle projetait la construction d’un chemin de fer de Grand'Croix à Saint-Etienne. Empruntant la vallée de Langonand, ce chemin de fer aurait débouché au Petit-Treuil à St-Etienne. C'est le tracé que suit aujourd'hui le chemin de fer départemental. Ce projet fut soumis en 1837 à une enquête d'utilité publique (1).

Le 18 juin de la même année, la Chambre de Commerce demanda que, dans le cas où ce projet serait autorisé, la Compagnie fût obligée: 1° de prolonger ce chemin de fer jusqu'aux Trois-Coins 1, limite de la ville de Saint-Etienne et de la commune de Montaud; 2° d'établir un port sec (gare) sur la route de Roanne au Rhône; 3° de construire un embranchement qui desservirait les mines de l'Isérable, de Monteil et de Bérard. Mais, en 1838, la Chambre apprit que le Gouvernement venait d'ordonner des études pour l'achèvement du canal. Préférant le canal au chemin de fer, à cause du prix plus économique du transport, elle demanda aux Pouvoirs publics de faire commencer au plus tôt les études. Toutefois, quelque temps après, la Chambre de Commerce demanda d'autoriser la construction de la nouvelle voie ferrée pour concurrencer le chemin de fer existant.

De 1830 à 1842, Laguerenne, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, fut chargé de faire des études nouvelles. Avec la collaboration des ingénieurs ordinaires Barreau et Boulangé, il dressa un projet de canal allant de La Fouillouse (près de Saint-Etienne) à Rive-de-Gier et au canal de Givors d'un côté, à Roanne de l'autre. Le bief de partage et la partie du canal située dans la plaine du Forez étaient alimentés par des dérivations de la Loire. Les dénivellations étaient rachetées par des écluses de 2 m. 30 à 3 m. 50 de chute. Pour la traversée du massif montagneux qui sépare la plaine du Forez de Roanne, le canal empruntait le lit même de la Loire, où devaient être établis treize barrages fixes de 1 m. 80 à 3 m. 78 de hauteur, accompagnés de dérivations éclusées. Le nombre total des écluses prévues pour franchir la différence de niveau entre le bief de partage et Roanne était de soixante-seize.

M. Brossard s'est longuement étendu sur ce projet, dont je donne le résumé qui figure dans la notice Delestrac. Le Conseil général de la Loire en 1838 et en 1839 manifestait sa reconnaissance au Gouvernement pour faire étudier un canal de la Loire au Rhône jusqu'à Roanne. Les projets Barreau et Boulangé reviendront encore en discussion en 1843 (Conseil général 1843, p. 17), lors de l'enquête sur le projet Bergeron dont je vais parler, et en 1846. La section de Saint-Rambert à Montbrison étudiée par l'ingénieur Boulangé, devenu ingénieur en chef du département, successeur de Laguerenne, devait servir à la fois de canal de navigation et de canal d'irrigation de la plaine du Forez.

La vieille idée de Zacharie préoccupait beaucoup de monde. M. Brossard a exposé les modifications que Belin, ingénieur des Ponts et Chaussées en congé, attaché au canal de Roanne à Digoin, proposait d'apporter au travail de Nazeret, qui remontait à la Restauration. Il s'est étendu sur le projet de l'ancien officier d'artillerie Bergeron, sur lequel il convient de compléter M. Brossard. Ce projet fut le seul qui faillit être réalisé. En effet, il était favorisé de tout son pouvoir par la Compagnie du canal de Givors.

L'officier Bergeron était l'agent technique d'une Société anonyme composée de Richard frères, Dugas-Vialis, Ardaillon, Tézenas, Guitton, Thomas, Ravel, Jonnard, etc. Les trois premiers associés étaient de Saint-Chamond. Les Richard étaient l'âme de l'affaire. C'étaient les fabricants de lacets, fils du fondateur de cette industrie. Aussi le projet fut-il dénommé projet Bergeron et Richard frères. Ceux-ci publièrent de nombreux articles dans le Mercure ségumen, en 1841 et 1842. On sait qu'Ennemond Richard avait la plume facile. Abordant tous les sujets économiques, il rivalisait avec son contemporain Alphonse Peyret. La Société présenta une demande en concession, sur laquelle la Commission d'enquête émit, en 1848, un avis favorable, comme la Chambre de Commerce du reste. D'après Descreux, la Société avait compris dans son plan d'ensemble la rectification de la route de Saint-Etienne à Lyon par le col de Terrenoire. Ce fut le seul projet exécuté. Pour le canal et le chemin de fer, son complément, écoutons M. Collet :


MM. Richard frères s'engageaient à demander, dans le délai d'un mois, la concession au Gouvernement 1° d’un canal à grandes sections, partant du pont Nantin (petite Varizelle), au-dessus de Saint-Chamond, et se soudant au canal de Givors, à la Grand'Croix; 2° d'une rigole ou petit canal souterrain, de niveau, prenant les eaux de la Loire à Saint-Victor et les amenant au pont Nantin, à travers le bassin houiller de Saint-Etienne; 3° d'un chemin de fer à double voie, partant du pont Nantin et se terminant a Saint-Etienne par trois embranchements, qui auraient servi tout le bassin houiller.

Ils s'engageaient, en outre, à laisser couler dans le canal de Givors, à la Grand'Croix, toutes les eaux du canal supérieur.

Par compensation, la Compagnie du canal de Givors faisait remise à M. Richard frères des deux septièmes des droits de navigation qu'elle aurait perçus sur les marchandises provenant du nouveau canal.

La durée du traité était fixée à vingt ans.

Il devait être nul si la concession demandée n'avait pas été accordée dans le délai de six mois.

Le délai était écoulé, et la Société Richard frères allait en demander la prorogation, lorsque le chemin de fer proposa au canal le traité du 19 octobre 1841.

Les deux Compagnies se mirent d'accord, et le projet de MM. Bergeron et Richard fut abandonné !

Alphonse Peyret, fils de Peyret-Lallier, économiste comme son père et plus que son père, n'était pas plus embarrassé par les questions techniques que par les questions économiques. L'art de l'ingénieur, bien qu'il ne fût pas ingénieur, n'avait point de secrets pour lui. Descreux dit qu'il avait étudié particulièrement la technologie et voyagé en Allemagne, en Angleterre et en Suisse. A 26 ans, il avait pris résolument l'initiative de l'entreprise du canal Saint-Louis, acheté un domaine sur le bas Rhône, montré l'inutilité des endiguements et les avantages de la canalisation pour contourner les embouchures ensablées et entrer dans la partie navigable des fleuves. Quoi qu'il en soit, il révisa dans de copieux mémoires les travaux des ingénieurs sur le prolongement du canal de Givors et il publia ces mémoires dans le bulletin de la Société d'Agriculture de Saint-Etienne (1888, p. 182; 1889, p. 81; 1842, p. 1). Le dernier, tiré à part, qui n'a pas moins de cent cinquante pages, est intitulé Mémoire sur les moyens: 1° de fournir des eaux abondante aux villes de Lyon et de Saint-Etienne; 2° d'alimenter le canal de Givors; 3° de rendre la Loire navigable entre Firminy et Roanne; 4° d'arroser la plaine de Montbrison, suivi de quelques considérations relatives aux canaux et aux chemins de fer. M. Brossard a résumé la partie concernant la navigation.