|
|
Par notre temps de voyages à outrance, grâce à l'automobile, on croit connaître la province parce qu'on a beaucoup circulé sur les routes. En réalité, on ne connait que les points de vue sensationnels et les monuments remarquables signalés par les Guides. On sourirait de pitié si vous proposiez de visiter par exemple les trois ports de Givors et de faire à pied la descente du canal. Cependant, il y a là des témoins du passé, qui valent des châteaux féodaux. Ce sont des témoins d'un passé récent, puissant et plus glorieux que celui d'une grande famille déchue.
Trois ports à Givors, vous ne vous en doutiez pas? Le port sur le Rhône, le bassin du canal et la gare d'eau.
Le bassin du canal étonne encore par sa belle régularité et ses dimensions. Il parait qu'il est inutilisable parce qu'inutilisé depuis longtemps, envasé, ayant un chenal trop étroit et peu profond, et qu'il faudrait y faire de grosses dépenses d'aménagement. On a parlé de trois millions. Un Syndicat détudes sétait présenté en 1920. La Commission interdépartementale a écarté son projet et décidé de limiter les efforts daménagement de la gare deau, qui nécessitait moins de dépenses. Ce bassin sert aux joutes et fêtes nautiques, dont la population de Givors est très friande. Comme son nom lindique, il fut créé, sous le premier Empire, pour servir de port au canal.
Le port sur le Rhône est entre le pont de Chasse et lentrée de la gare deau. Cest un quai utilisé pour le chargement et le déchargement des barques naviguant sur le Rhône Il appartient à lEtat. Un hangar de la Compagnie de navigation Havre-Paris-Lyon-Marseille abrite le matériel de cette Compagnie. Ce quai est fréquemment inondé et la surface utilisable très réduite, à cause du courant violent du fleuve.
La gare deau de Givors va nous retenir davantage. Elle a été créée par la Compagnie du chemin de fer de Saint-Etienne à Lyon, afin davoir un port sur le Rhône et de faire concurrence au canal. Quand le canal a été réduit à limpuissance par la voie ferrée, celle-ci a ruiné sa propre gare deau, quon essaye aujourdhui de faire renaître, non pas de ses cendres, mais de la vase épaisse qui l'encombre, l'actuel Directeur de la Compagnie P.-L.-M. nétant pas, comme ses prédécesseurs, l'ennemi irréductible de la navigation, laquelle peut être un auxiliaire de la voie ferrée.
Cette gare deau est située dans la circonscription de la Chambre de Commerce de Lyon. Mais elle nintéresse pas Lyon, qui est très largement ouvert à la navigation intérieure. Elle intéresse par contre très vivement la vallée du Gier, le Jarez et Saint-Etienne, dont Givors est la seule porte qui ouvre directement sur le Rhône et sur la Méditerranée.
Dès lors, c'est Saint-Etienne, et non Lyon, qui sera au premier plan pour réclamer au sujet de la gare d'eau.
Elle est singulièrement construite, cette gare d'eau. Imaginez un boyau étranglé, assez étroit (50 mètres dans sa partie la plus large) et assez long (900 mètres), desservi par des voies sur le côté sud seulement, dépourvu de terre-pleins et d'emplacements pour dépôts de marchandises, aménagé jadis pour un transbordement considérable de houille passant directement des wagons sur les bateaux par des couloirs. La Compagnie P.-L.-M. a supprimé tous les appareils de levage. Elle a enlevé deux grues et n'a conservé comme appareil de transbordement qu'un couloir sur trois pour les charbons, couloir dont l'accès n'est possible que quand les eaux sont fortes.
Telle était la description qu'en donnait l'ingénieur conseil de l'Office des Transports des Chambres de Commerce du Sud-Est en 1901 (1). Le délabrement est tel, disait-il, qu'on ne peut s'en faire une idée. Le Ministère des Travaux publics avouait naïvement, dans la Statistique de la Navigation intérieure en 1880, que « la Compagnie du chemin de fer avait laissé s'envaser la gare d'eau, de sorte qu'elle ne peut plus être utilisée aujourd'hui, tant à cause de son manque de profondeur que par suite des tarifs imposés par le concessionnaires. Mais que faisait l'Administration supérieure chargée de contrôler les concessionnaires des services publics ? (Il y eut, en effet, ordonnance de concession ou d'autorisation, le 30 janvier 1831). Le concessionnaire est toujours chargé d'entretenir la chose concédée en bon état. Quant aux tarifs, l'Administration a à sa disposition assez de moyens de contrainte pour obliger les plus récalcitrants à les modifier équitablement. Le contrôle se montrant plus sévère, le concessionnaire est obligé de céder .
La gare d'eau de Givors remonte, en effet, à 1831. Elle a été conquise sur le lit du Gier, qui jadis débordait, comme toutes les rivières non endiguées. En 1825, une Société dite des Graviers du Gier, composée de personnalités givordines, s'était formée pour rendre ces terrains à l'agriculture. Elle en vendit une partie, en 1829, à la Compagnie du chemin de fer de Saint-Etienne à Lyon (Seguin et Cie), pour établir sa voie ferrée. Quelques jours après, elle cédait aux frères Seguin les terrains nécessaires pour l'établissement d'une gare d'eau et de ses dépendances. Les Seguin rétrocédèrent ces terrains à une Société dite de la gare d'eau de Givors, formée spécialement dans ce but et composée des Seguin, des Mignot, leurs beaux-frères, et de Camille Dugas, maire de Givors de 1827 à 1848, allié aux Robichon, leur associé et plus tard leur successeur dans la verrerie. Cette Société avait pour raison sociale: Mignot aîné et Cie.
Les Seguin firent à la Compagnie du chemin de fer de Saint-Etienne à Lyon la cession de leurs droits dans la Société de la gare d'eau. On sait comment la Compagnie P.-L.-M. devint, en 1857, l'ayant droit de cette première Compagnie. Elle se rendit acquéreur, moyennant le prix de 425.000 fr., de quatre-vingt-cinq parts d'intérêts, appartenant à Dugas, Mignot et consorts, dans la Société de la gare d'eau. Ces parts, réunies aux trente-cinq déjà acquises par la Compagnie du chemin de fer de Saint-Etienne à Lyon, représentaient la totalité du capital de la concession.
Cette acquisition fut réalisée en 1864. On avait insisté en 1860, inutilement, pour que l'Etat rachetât le port de Givors afin d'affranchir la navigation des étreintes du chemin de fer. La Compagnie P.-L.-M., fermière de la gare d'eau depuis 1844 pour le compte de la Société Mignot reconstituée, et à qui elle payait une location se 45.000 fr., venait de résilier le bail.
En 1874, la Société Mignot, formée pour trente ans, prit fin, et depuis ce moment la Compagnie P.-L.-M. détient purement et simplement la gare d'eau, dont le caractère juridique paraît assez obscur. C'est un service public, incontestablement. Mais l'ordonnance de 1851 ne se sert même pas de l'expression concédé. Elle déclare que cette gare d'eau est autorisée, De plus, la Compagnie est seule propriétaire.
Par acte du 11 mars 1841 et par devant M. Vacheron, notaire, la Société de la gare d'eau, agissant de concert avec la Société des Graviers (les droits étant enchevêtrés), vendit Etienne Revol principal entrepreneur de la batellerie de Givors, une parcelle de terrain près de la gare et, le même jour, au sieur Roche, une autre parcelle contiguë. Revol avait le droit de prendre un embranchement de rail sur celui établi par les Compagnies vendeuses le long de la gare et aboutissant au Rhône. Pour les marchandises qu'il pourrait recevoir dans sa propriété, ou qu'il pourrait expédier par voiture, il n'avait pas de droit de gare à payer. C'est, je crois, ce que les ayants droit de Revol ont appelé le droit d'entrepôt ou de franchise d'entrepôt.
Revol s'était rendu acquéreur antérieurement (1888) d'un tènement appartenant aux consorts Poyrieux, contigu aux chantiers de la Société de la gare d'eau, vente élargie en 1884. Les héritiers de Revol, décédé en 1847, vendirent à Louis Perret (1861). En 1911, Mme Henry-Guy Perret loua à M. Pointe, de Saint-Etienne. La Société Pointe et Cie devint à son tour acquéreur de Mme Henry-Guy Perret (1918). Préalablement elle avait acheté le dernier lot que la Compagnie P.-L.-M. possédait sur la première section de la gare d'eau. Son immeuble principal est édifié sur le tènement Poyrieux. Elle a cédé, en 1924, à la Société des Remorquages, Transports et Entrepôts, dont le siège est à Montpellier, son fonds de transitaire, tout ce qu'elle possède sur la gare d'eau, tous les immeubles ayant fait l'objet de la promesse de vente de 1911 et dépendant des successions Proton de la Chapelle, Guy Perret, Revol, Sociétés de la Gare d'eau et des Graviers du Gier, Poyrieux.
A la suite de deux autres achats opérés en 1925 (d'autres en cours), la Société de Remorquages est aujourd'hui propriétaire d'un tènement de 8.700 m2 .
J'ai parlé des sections de la gare d'eau de Givors. La première section, à l'entrée même de la gare d'eau sur le Rhône, était occupée par l'équipe rouge, transbordant le minerai. La deuxième section, entre le pont de la route nationale et le pont du chemin de fer, servait de port pour les barques en attente de chargement de houille, ou en départ. La troisième section, en amont de la gare d'eau, était affectée d la manutention du charbon, effectuée par l'équipe noire.
Les Ponts et Chaussées firent prolonger vers le Rhône le quai de la première section et édifier en face une digue de protection pour les bateaux contre la violence du fleuve.
La gare d'eau de Givors connut pendant quelque temps une ère prospère: 100.000 tonnes par an de charbon, minerai, sable, etc. .
La mise en vigueur des prix fermes, accordés par la Compagnie P.-L.-M. sur la demande de la Chambre de Commerce. notamment de Saint-Louis-du-Rhône à Givors, pour le transport des minerais d'Algérie, destinés à approvisionner la métallurgie de la Loire, qui construisit alors plusieurs hauts fourneaux, et pour le transport des céréales à destination de Saint-Etienne, Montbrison et Roanne, réduisit le tonnage annuel de la gare d'eau à moins de 4.000 tonnes .
La Chambre de Commerce de Lyon, en 1896, constatait que la Compagnie P-L.-M. avait chassé la houille du port de Givors, lequel depuis longtemps n'était plus entretenu et dont l'état de délabrement était voulu : La Chambre de Commerce de Saint-Etienne, qui, en 1899, avait réclamé l'aménagement de la gare d'eau, appela de nouveau, en 1902, l'attention du Ministre sur l'état de cette gare. Descendant le Rhône, les délégués des Chambres de Commerce du Sud-Est s'étaient arrêtés à Givors et avaient examiné tristement le pré vaseux qu'on s'obstinait encore à appeler une gare d'eau.
Un projet de loi fut déposé en 1908 concernant le raccordement des voies de fer avec les voies d'eau. La Chambre de Commerce de Saint-Etienne donna son adhésion à ce projet qui, il n'est pas besoin de le dire, ne fut jamais discuté.
En 1914, la Chambre de Commerce de Saint-Etienne demandait au Gouvernement et à la Compagnie P.-L.-M. la réfection du bassin du canal de Givors et son raccordement avec la voie ferrée. Le Conseil municipal de Givors avait émis un vote favorable en 1918. Le bassin du canal pouvait être transformé par l'agrandissement de l'écluse et par la création de voies de quai reliées au P.-L.-M., comme le proposait le service des Ponts et Chaussées.
La Chambre de Commerce appuyait en même temps auprès de la Compagnie P.-L.-M. la demande de M. Pointe relative à l'installation d'un transbordeur électrique et au droit à l'entrepôt.
Arrive la guerre ! La Compagnie P.-L.-M. se récusa dans l'exécution du transbordement. Elle laissa aux usagers le soin d'assurer ce transbordement par leurs propres moyens. La Chambre de Commerce s'associa aux protestations motivées par cette décision. Il y eut réunion à Givors, réunion à Saint-Etienne. Le maire de Givors, M. Brossette, était favorable à l'aménagement du bassin du canal plutôt qu'à celui de la gare d'eau. Les ingénieurs du Rhône indiquaient au contraire que l'aménagement de la gare d'eau était plus facile. C'est cette idée qui fut défendue par la Chambre de Commerce. Le Groupement économique des Industries françaises, formé par des industriels petits et moyens travaillant pour la guerre, se préoccupait aussi de la remise en activité du port de Givors. Il décida de s'entendre avec M Pointe au sujet de la réception et de la réexpédition des marchandises débarquées à Givors (Bulletin du Groupement, mai 1918.
L'Inspection des Forges passa outre à la défaillance de la Compagnie P.-L.-M. Elle fit installer une grue à vapeur, prolongea d'autorité les deux voies de chemin de fer jusqu'à l'extrémité sud du quai du port et installa deux voies d'évitement Cette installation fut ratifiée par convention entre les Travaux publics et la Compagnie P.-L.-M. Le tonnage de la gare d'eau remonta, en 1917, à près de 40.000 tonnes, chiffre qui avait d'ailleurs été atteint en 1897 et 1898 .
On greffa sur le service de guerre celui des marchandises ordinaires, malgré l'opposition de la Compagnie. Après la guerre, la Société Pointe acheta son matériel de levage au Service des Forges.
La Chambre de Commerce et le Sous-Comité d'Action économique avaient renouvelé leurs vux pour I'aménagement de la gare d'eau. La Commission interdépartetnentale, réunie à Givors, prit des décisions sans lendemain. M Pointe était en conflit ouvert avec la Compagnie P.-L.-M. pour son transbordeur.
La Chambre constatait, en 1919, 1impuissance ou 1indifférence des Pouvoirs publics pour lamélioration de la gare deau. Le temps passait en négociations et en délibérations diverses. La Compagnie fit même démolir le transbordeur de M. Pointe. Quelque temps après, elle déclara consentir à louer la gare d'eau à l'Etat pendant dix ans, à raison de 1 fr. par an (29 décembre 1919). Elle avait procédé, disait-elle, à la démolition du pylône établi sur son terrain, parce que M. Pointe avait passé outre à l'engagement d'arrêter les travaux jusqu' à nouvel examen de l'affaire.
La même année, un Syndicat d'études du port de Givors, formé à Lyon, demanda la concession de la construction et de l'installation de ce port y compris la gare d'eau. Sur le rapport de M. Rivière (1920), la Chambre de Commerce de Saint Etienne proposa de constituer .un consortium avec la Chambre de Lyon pour obtenir la concession des travaux d'amménagement et d'outillage de la gare d'eau, ainsi que l'exploitation ultérieure des services de cette gare. L'aménagement du bassin du canal, qui demandait millions, fut écarté par la Commission interdépartementale.
Le consortium fut autorisé par le Ministre du Commerce (27 avril 1920). Les Conseils généraux du Rhône et de la Loire furent saisis par leurs Chambres de Commerce respectives d'une demande de subvention. Une enquête fut ouverte sur le trafic probable de la gare d'eau. La Compagnie P.-L.-M. consentit à porter la location à 30 ans, au lieu de 10 ans. Les prévisions de dépenses, beaucoup plus élevées que ce qu'on supposait, aggravées d'ailleurs par la dévalorisation du franc, firent ajourner provisoirement toute solution. Les tarifs de chemins de fer n'ayant pas encore été augmentés en proportion de la dévalorisation, la voie d'eau coûtait plus cher que la voie ferrée.
De cette époque à 1928, les opérations de la gare d'eau atteignirent annuellement de 15 à 17.000 tonnes. En 1925, I'ingénieur en chef du Rhône fut saisi d'une demande de concession de cette gare, présentée par la Société de Remorquages, successeur de M. Pointe. Sur le rapport de M. Guichard-Perrachon, la Chambre de Commerce de Saint-Etienne, abandonnant le projet de demande de concession envisagé par le consortium, émit un avis favorable en principe à la demande de la Société de Remorquages. Quelques négociations avec la Chambre de Commerce de Lyon, sur le projet de maintien du consortium, avec rétrocession à un amodiataire, différèrent de quelques mois la solution de la question. La Société de Remorquages était favorable à la rétrocession par le consortium. D'autre part, elle avait des droits reconnus aux successeurs de M. Revol. Elle était propriétaire des terrains des entrepôts en bordure de la gare.
Enfin, en 1926, une délégation des Chambres de Commerce de Lyon et de Saint-Etienne en présence de M. Pascalon, ingénieur en chef des services du Rhône, décida, dans une réunion tenue à Givors même que le consortium des Chambres de Lyon et de Saint-Etienne abandonnerait la demande de concession. Une concession directe serait faite par l'Etat à la Société de Remorquages, le système de la rétrocession présentant de sérieuses difficultés. ,On ne pouvait, en effet, rétrocéder que l'exploitation et le consortium aurait supporté, le cas échéant, les déficits de la Compagnie rétrocessionnaire.
En attendant que le cahier des charges fût mis au point et qu'on pût procéder à l'enquête qui doit précéder l'autorisation d'exploiter demandée par la Société, M. Margot, directeur général de la Compagnie P.-L.-M., a écrit à la Chambre de Commerce que l'étude de la convention à passer avec l'Etat en vue du statut futur de la gare d'eau était poussée très activement et qu'il était permis d'espérer qu'on aboutirait prochainement à un règlement satisfaisant pour tous les intérêts en cause. En attendant, sur la demande de la Chambre de Commerce, M. Margot a autorisé la Société de Remorquages à opérer le dragage de la gare d'eau de Givors, comme cette Société le proposait.
|
|